COMMENTAIRE
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Paru le : 27 janvier 2001
Globale tyrannie
MANUEL GRANDJEAN
Faut-il attendre de l’infection qu’elle guérisse le malade? Oui, sans aucun doute, à croire Klaus Schwab.
Le fondateur du World Economic Forum (WEF) de Davos estime en effet que son club de global leaders poursuit les mêmes objectifs que ses opposants, mais avec plus d’efficacité. Sur le site Internet du WEF (www.weforum.ch), cette prétention s’affiche en un diaporama symbolique. A des images de misère et de violence succèdent celles d’une prospérité solidaire: «Committed to improve the state of the world» («engagé pour améliorer l’état du monde») commente le texte.
Mais la propagande est grossière et les faits têtus. Deux décennies de globalisation économique ont amené le monde au bord de l’implosion.
Qui le dit? Les opposants à la mondialisation néolibérale? Pas seulement.
Il y a six ans déjà, l’Institut de recherche de l’ONU pour le développement social (UNRISD) livrait, à l’occasion du Sommet de Copenhague, un rapport détaillé sur les effets des politiques néolibérales. Celles-ci, dénonçait-il au long de ses 170 pages, ont affaibli la cohésion sociale, renforcé les inégalités, marginalisé des secteurs importants de la population et appauvri de nombreux Etats. Et de souligner que ce processus découle «de décisions prises dans des forums internationaux non représentatifs». Comme le WEF, précisément.
Selon l’image qu’il tient à donner de lui-même et de son forum, Klaus Schwab serait cependant un «partisan acharné du dialogue». Mais sur ce point également le démenti des faits est criant.
A Davos, le WEF a mis la démocratie entre parenthèses. Se déplacer, manifester, informer sont potentiellement des délits. Selon l’arbitraire le plus total, tout opposant supposé est arrêté, interrogé, expulsé. Ce traitement ne s’applique pas seulement aux manifestants, mais également à la presse. Les journalistes que le WEF n’a pas triés sur le volet sont traités de la même façon, au mépris de la liberté d’informer.
Ces mesures ne sont pas de simples dérapages sécuritaires. Dans notre édition de lundi, nous publierons des documents exclusifs qui montrent comment, dans le secret de sa préparation, le «club» de M. Schwab conçoit le dialogue avec la société civile.
Hormis quelques parlementaires qui sauvent l’honneur politique de la Suisse, il faut déplorer que les autorités du pays fassent preuve d’allégeance envers les «maîtres du monde» réunis dans la cité grisonne. Ainsi, le ministre de l’Economie, Pascal Couchepin, qui ne craint pas de louer avec cynisme les bienfaits de la globalisation: «Dans chaque évolution, il y a des gagnants et des perdants».
Ceux qui pensaient que les élus doivent se soucier du bien commun apprécieront... Comme il s’interrogeront sur la présence parmi les membres du WEF – soit les mille entreprises transnationales les plus puissantes du monde – d’une seule collectivité publique: le canton de Genève. Lequel, il est vrai, accueille le siège du «club».
Quant au président de la Confédération hélvétique, Moritz Leuenberger, il a déclaré lors de la cérémonie d’ouverture que «le Forum de Davos est devenu le symbole d’une civilisation globale en devenir».
En effet. La petite station des Grisons nous donne même une préfiguration de ce meilleur des mondes que les global leaders nous préparent.
D’un coté, une citadelle de puissants s’arrogeant tous les pouvoirs. De l’autre, une foule de sans-droits sous haute-surveillance. Une société militarisée, inquisitoriale et répressive.
Si un autre monde est possible, ce n’est pas à Davos qu’il émergera, mais à Porto Alegre.
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